De nombreuses coopératives agricoles françaises travaillent leurs fondamentaux face aux défis considérables qu’elles ont à relever. Mais combien ont revu leur portefeuille d’activités et leur organisation pour affronter le gros temps sans boulets ?
On vient de connaître le chiffre d’affaires de l’ensemble des coopératives agricoles françaises pour 2018 qui s’est élevé à 85,4 Md€, en rebond de 1.4 Md€ par rapport à 2017, mais loin des 90 Md€ de 2013. L’INSEE prévoit que la production agricole en 2019 aura perdu 2% de sa valeur et l’inquiétude continue de grandir face aux mutations profondes à l’œuvre dans l’agriculture française.
Travailler les fondamentaux
Des tendances lourdes attaquent le cœur de métier voire la légitimité des coopératives.
Les activités de mise en marché sont de plus en plus concurrencées. Que ce soient les matières premières : par la Russie et l’Ukraine sur les marchés céréaliers, ou par l’arrivée massive du soja américain. Ou les produits finis qui subissent l’essor de la vente directe et des circuits courts.
L’activité d’approvisionnement des adhérents est également impactée par l’arrivée des plateformes de partage d’équipements agricoles, par les spécialistes d’e-commerce et par les sites internet des industriels phytosanitaires et autres équipementiers, autant de menaces sur les coopératives.
Enfin les nouvelles attentes des consommateurs poussent à une radicale remise en question des pratiques agricoles tels le bio, le bien-être animal, la juste rémunération, le mouvement locavore, le défi énergétique, etc. ;
Le tout durci par de nouvelles réglementations : séparation des activités de conseil et de vente de phytosanitaires, restriction de l’usage du glyphosate, traçabilité accrue des aliments, etc.
Au vu de ces constats, les coopératives ont en général commencé à travailler leurs fondamentaux, essentiellement dans trois directions.
Premièrement elles cherchent à renforcer les relations privilégiées entretenues avec leurs adhérents qui se sentent seuls face à ces nouveaux défis, et à retrouver ou à renforcer les logiques systémiques, mutualistes, locales de leur territoire.
Deuxièmement elles accentuent la valorisation aval de la production agricole vers les consommateurs en améliorant la compétitivité de leurs activités opérationnelles et commerciales. Les groupes coopératifs NatUp, Axéréal et InVivo qui ont créé Grain Overseas, plateforme de commercialisation de blé tendre et d’orge fourragère, Cooperl avec le rachat du grossiste Siba et du charcutier Jean Caby, et Triskalia et d’aucy qui fusionnent pour créer Eureden illustrent ce mouvement.
Enfin elles cherchent des solutions organisationnelles pour gérer la tension quasi schizophrénique à être performant sur ces deux métiers – amont et aval – aux logiques souvent antagonistes.
Ce bon sens, commence à inspirer la stratégie de bon nombre, mais nous croyons qu’il est insuffisant pour beaucoup de coopératives dont les activités aval se sont progressivement diversifiées de façon exagérée.
Se séparer des activités à potentiel faible ou non stratégiques
Beaucoup ont en effet développé un portefeuille varié d’activités résultant de diversifications et d’acquisitions pour des motifs « d’atteinte de taille critique », de « lissage des flux financiers » ou de « proximité » avec leurs activités existantes, sans compter l’éventuelle lubie du dirigeant inspiré.
L’ambition a souvent été alors de créer rapidement des groupes sur le modèle d’un Danone ou d’un Lactalis de la grande époque, au moment même où ceux-ci se reconcentraient au contraire sur un petit nombre d’activités. Force est de constater la réussite inégale de ces projets et la difficulté à reconnaître les échecs.
En même temps qu’elles s’attaquent aux fondamentaux, la plupart des coopératives devraient donc passer en revue leur portefeuille d’activités d’un œil neuf. Les incohérences stratégiques maintenues trop longtemps entraînent des pertes récurrentes irrémédiables et rendent les cessions plus compliquées.
Car, fondamentalement, plus un Groupe coopératif est diversifié, plus le risque de destruction de valeur pour ses activités nouvelles est important : incompatibilité avec la culture dominante, contradictions stratégiques, difficultés à trouver les bons profils de dirigeants… Et, en retour, l’élargissement de ces petits groupes les a souvent amenés à alourdir leur siège en effectifs et en gouvernance opérationnelle, leur faisant perdre leur frugalité initiale.
En ayant le courage de se séparer des danseuses et de revoir le rôle du siège, ces coopératives agricoles française pourraient redéployer leur ressources financières et humaines sur les vraies priorités stratégiques.
Philippe Chidaine
Philippe Chidaine est président de La Tour-Tattegrain Conseil (www.latour-tattegrain.fr)
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